Rencontre fortuite...

Sombre Désir inspira les odeurs du Clan du Vent. Délicieuses effluves qui étaient là depuis sa plus tendre enfance. Elles avaient partagé son passé, son présent et son futur. Elle savait cela dangereux de s'aventurer à nouveau sur ces terres qu'elle avait déserté il y avait de cela trois lunes. Mais le Clan du Vent lui manquait déjà. Elle était nostalgique, l'esprit de ses ancêtres et Pelage d'Ombre y résidaient. Ses petits yeux sombres exploraient l'étendue de verdure cramoisie devant elle. L'été brûlait les herbes qui roussissaient.

La femelle observait les terres du Clan du Vent. Ses terres, avant. Avant, elle était chef. Avant, elle était pleine d'ambitions. Puis le doute l'assaillit. Était - elle vraiment digne de mener ce Clan, à présent qu'il avait retrouvé un peu de sa splendeur d'antan ? Soudain, son courage, sa détermination retomba. Elle ne voulait plus rester chef du Clan du Vent. Elle n'en était pas digne, et un chat meilleur qu'elle prendrait sa place.

Sombre Désir observait encore les terres battues par le Vent. L'éternel Vent. Elle savoura ces odeurs avec délice. Ses yeux passèrent les terres sur lesquelles elle était au peigne fin. Elle était tendue. La moindre rencontre avec un chat du Clan du Vent et elle s'exposait à de divers dangers. Elle commençait à ressentir le besoin de rallier son ancien Clan. Elle ne voulait pas revendiquer la place de chef, oh que non. Même pas une place importante. Elle voulait juste y revenir en tant que guerrière. Mais elle savait son rêve impossible.

Elle avait peur que les chats, qui ne partageaient pas les mêmes souvenirs qu'elle du Clan du Vent d'antan, la rejettent violemment en prétextant qu'elle avait abandonné son Clan. Mais ils ne savaient pas ce qu'elle avait ressentit. Ils ne savaient pas qu'elle avait fait cela pour leur bien. Elle ne savait pas qu'elle regrettait tant son Clan, son Clan qui l'a accueillie depuis son plus jeune âge, ce Clan qui l'a toujours soutenue, ce Clan qu'elle a toujours soutenu. Ils ne savaient pas tout cela. Ils ne savaient rien. Ils ne savaient même pas à quoi ressemblait l'ancien Clan du Vent, si ... vivant, si agréable à vivre ... Certains ne connaissaient même pas son histoire. Ils ne savaient même pas pourquoi les chats qui avaient encore le sang pur du Clan du Vent étaient si rares.

Et ça, Sombre Désir trouvait cela injuste. Elle trouvait cela injuste qu'une telle tragédie tombe dans l'oubli, que personne ne s'en soucie, que tout le monde l'interprète comme bon lui semble. Les chats qu'elle avait accepté à bras ouverts dans son Clan étaient, pour la plupart, des chats injustes. Des chats qui ne comprenaient rien. Elle sentit le regret monter en elle. Le regret de ne pas leur avoir fait part de toutes ces choses avant de partir. Elle espérait que Pelage d'Ombre pensait comme elle, ou une telle infamie pourrait bien se reproduire ...

La chatte écaille se dressa de toute sa hauteur. Elle fit la reconnaissance des lieux. Elle était sur les hauts - plateaux. Les hauts - plateaux étaient son endroit préféré. Le vent couchait les herbes et battait la lande. Le Vent était, ici, omniprésent. Mais l'endroit était plutôt mal tombé pour la femelle, qui ne devait pas se faire remarquer. Quelques instants après qu'elle ait pensé à cela, elle se mit en marche pour quitter les terres du Clan du Vent au plus vite. Elle était plongée dans ses souvenirs, souvenirs heureux ou malheureux.

Une voix hésitante sortit la chatte de ses pensées. Elle cracha de surprise et ses traits étaient tendus par l'angoisse. C'était un mâle. Un chat dont elle n'avait pas le souvenir. Il énonça son nom d'antan. " Fleur du Crépuscule ". Il lui demandait si c'était bien elle. La femelle le dévisagea sans le reconnaître. Son museau était tiraillé entre l'étonnement et la méfiance. Elle s'écarta et lui parla sèchement.

« Qui es - tu ? Et comment connais - tu mon ancien nom ? Pour ton information, j'ai été chef puis ... Plus chef. A présent je suis solitaire sous le nom de Sombre Désir. »

Elle se tut quelques instants. Elle était toujours méfiante, mais les souvenirs que faisaient remonter le nom de Fleur du Crépuscule la calma quelque peu. Elle baissa les yeux, ses muscles se détendirent. C'était comme lorsqu'elle avait revu Pelage d'Ombre. L'incompréhension, la surprise puis la joie. Soudain, la femelle eut un déclic. Elle releva brutalement la tête vers l'inconnu, qui n'en était plus un. Les deux images se superposèrent dans sa tête.

« Larmes de Sang ! »

La femelle hurla son nom de joie. Elle souriait. Elle rit aux éclats, et, sans pouvoir maîtriser ses pulsions, elle fit rouler l'ancien camarade. La queue de la chatte écaille ondulait de joie. Elle cessa ses jeux et se mit de côté, entamant la conversation. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vu, et elle avait tant de choses à lui dire ...

« Ça faisait si longtemps ! Qu'est - ce que tu es devenu ? Moi ... J'ai été chef, sous le nom d'Étoile du Crépuscule ... Mais j'ai renoncé à mon poste. Il est libre, j'espère que quelqu'un de qualifié prendra ma place ... Oh je suis si contente de te revoir ! Et tu sais, Pelage d'Ombre ? Il est le guérisseur du Clan du Vent ! Et puis ... Ça me fait tellement plaisir de voir que nous ne sommes donc pas les deux seuls, avec Pelage d'Ombre ! »

Life is Beautiful.

« When you run away from harm,
Will you run back into my arms,
Like you did when you were young ?
Will you come back to me ? »

Sombre Désir ne laissa pas un instant de répit à son ancien camarade. Sitôt fut - elle calmée qu'elle l'assaillit d'un flot d'informations confuses. Elle avait tant, tant à lui dire ! La femelle écaille n'avait même pas remarqué que le matou s'était assit pendant qu'elle parlait. Lorsqu'enfin, la chatte écaille daigna lui accorder un peu de repos, Larme de Sang mit vivement une patte sur le museau de la damoiselle. Elle prit un air vexé, puis se rendit compte, un peu gênée, qu'elle l'avait assaillit sans lui laisser le temps d'assimiler à son rythme.

Le chat sourit à Sombre Désir. Elle le lui rendit. Il ôta alors sa patte et prit à son tour la parole. Plus doucement que Sombre Désir, qui avait enchaîné les phrases à une vitesse hallucinante. Il lui souffla de ralentir. Qu'il n'avait pas le temps de comprendre. Il était vrai que la chatte n'avait pas trop prêté attention à s'il avait le temps de comprendre ou pas. Il rit aussi doucement qu'il avait parlé et la regarda avec tout autant de finesse. Il l'appela Fleur, puis se reprit. Il était vrai qu'il ne devait pas avoir l'habitude de nommer la chatte écaille de la sorte.

Il disait que cela faisait la deuxième fois qu'on le croyait mort. Il y avait de quoi. Elle ne l'avait pas vu fuir la bataille. Mais il lui semblait l'avoir vaguement observé combattre avec hargne des assaillants, qui commençaient alors à arriver en masse. Mais il disait aussi qu'il était heureux de voir qu'il lui avait fait la même peur. Sombre Désir sourit. Elle était heureuse d'avoir apaisé cette peur par sa simple vision. Il continuait, en disant qu'il avait été laissé pour mort après le combat. Sombre Désir ne l'avait pas vu lorsqu'elle était revenue. Probablement était - il déjà parti, à ce moment - là. Il s'était battu jusqu'à épuisement. Elle n'en doutait pas, car elle savait Larmes de Sang courageux et loyal. Et quand il s'est réveillé, il a rampé hors du campement. Et ensuite, il a fuit, visiblement.

Sombre Désir avait eut vent des capacités qu'avait Larmes de Sang à se rétablir très vite. Elle se souvenait encore du jour de sa chute, que l'on croyait avoir été mortelle pour l'apprenti. Elle avait été terriblement triste, le croyant mort, comme tous les autres. Et lorsqu'on lui annonça qu'il était vivant, elle fut si euphorique qu'elle sauta au cou de celui qui lui annonça la nouvelle. Qui était - ce encore ? Sombre Désir ne savait plus.

Elle avait sentit la bonne humeur la quitter au fil des souvenirs que Larmes de Sang faisait surgir. La bataille. Le sang. L'horreur face au désastre. La tristesse. Parce qu'on voit ses amis, ses proches, sa famille. Tous ces corps éparpillés ... Ces chats, tous ces chats qu'elle avait côtoyé, aimé, détesté. Elle reconnut quelques uns de ses anciens camarades. Mais elle ne pleurait pas. Elle n'avait plus la force de pleurer. Elle n'avait pas le sentiment que ce serait utile. Elle n'avait pas l'impression que cela suffirait à les faire revenir.

Life is beautiful ...

Le Vent se fit plus présent, comme pour certifier que ces souvenirs avaient été réels. Malgré l'horreur des faits. C'était réel. On voulait oublier. L'oublier, s'oublier. Mais on ne pouvait pas oublier une telle chose. Quoi que l'on fasse, le passé resurgit. Quoi que l'on fasse, le passé nous poursuit. L'espoir, la peur, la culpabilité sont des sentiments qui se bousculaient dans la tête de Sombre Désir le jour après le massacre. Elle savait que rien ne serait plus comme avant. Et pourquoi ? Qu'avaient - ils fait pour enclencher pareille haine envers leur Clan ? Rien. Rien du tout. C'était juste pour faire couler le sang. Idée barbare d'esprits primitifs qui tentèrent d'exterminer un peuple. Ils étaient bien malheureusement presque parvenu à leurs fins. Presque. Ce petit mot qui avait le pouvoir de changer le sens de toute une phrase.

Le félin face à la chatte écaille fit couler quelques larmes de son visage blanc comme neige. Était - ce joie était - ce tristesse ? Était - ce espoir retrouvé était - ce mélancolie ? La chatte écaille abaissa quelque peu la tête pour voir ses yeux. Parce que les yeux sont les miroirs du cœur. Joie et mélancolie se menaient une joyeuse bataille dans le regard du matou. Un troisième sentiment vint s'en mêler. Il était heureux. Sombre Désir sourit. Encore.

Larmes de Sang parlait à nouveau. Sombre Désir releva lentement la tête pour revenir à une posture à peu près normale. Digne position du chef qui vient de perdre sa place. Garder un peu de son honneur perdu. Juste pour paraître encore bien. Il disait ne pas penser qu'il y avait des survivants de leur Clan. Sombre Désir non plus. Et pourtant. Il était revenu à cause d'un rêve. La femelle écaille fut interloquée. Une rêve ? Seulement pour un rêve ? ... Après tout, n'es - tu pas venue avec des rêves, Sombre Désir ? Ne nie pas. Il aurait aimé te voir lors de ton apogée. Dommage, il n'en aura peut - être jamais plus l'occasion.

Le félin blanc marqua une pause. Sa petite mine illuminée laissait présager qu'il venait d'avoir un déclic. Il demanda si Pelage d'Ombre était vivant. Tu hochas machinalement la tête de haut en bas. Il disait qu'il fallait aller le voir. Ouch. Un sujet sensible. Sombre Désir se tendit immédiatement. Il lui demanda si elle se souvenait de la tête qu'il avait fait après sa guérison miraculeuse. De nouveau, tu hoches la tête de haut en bas machinalement. Tu te mordis la lèvre inférieure. Tu restas silencieuse quelques instants. Tu regardais froidement le sol. Tu lui parlas sans même le regarder.

« Ce ... Ce n'est pas ... si simple que ça. En fait ... J'ai moi - même quitté mon poste. J'ai ... J'ai trop peur que le Clan me rejette. »

Pourtant, je lui avais promis de le revoir ... La tentation est si forte ... Mais ma peur est à son comble aussi ... Dois - je aller le voir, dois - je retourner au campement malgré le fait que je n'en fasse plus partie ? Je serais considérée comme une simple solitaire. Une intruse. Le seul moyen d'y retourner en tout sécurité est de faire de nouveau partie du Clan du Vent. Mais ... J'ai peur. Je ne sais pas encore si je veux y retourner ... J'en ai envie, et pas envie à la fois .... C'est si ... compliqué ...

Il n'y eut soudain plus que le silence. Sombre Désir cligna des yeux, cherchant des réponses au plus profond d'elle. Qu'est - ce qui l'empêchait d'aller revoir Pelage d'Ombre ? Il lui avait promis qu'il l'attendrait. Qu'elle serait toujours acceptée dans son Clan natal. Oui, qu'est - ce qu'il l'en empêchait ... ? Elle avait peur. Non, pas peur des autres, comme elle préférait le dire. Elle avait peur de revoir son passé. De revoir son passé sous ses yeux, acharnés à la faire souffrir. Ce Clan lui rappelait tout. Tous ces mauvais souvenirs, déchirants, blessants, toutes ces vies, du plus petit des chatons au plus âgé des anciens, ils étaient morts. C'était pour cela qu'elle était partie. Pas pour ce qu'elle préférait croire. Croire qu'elle se sentait incapable d'être chef. Non, au fond d'elle elle s'en savait capable. Elle savait qu'elle pouvait épauler un Clan. Mais pas le sien. Parce qu'il la rendait trop mélancolique, triste et oisive. Mais ce Clan, c'était tout pour elle. Elle l'avait redressé, elle y avait vécu. Ou elle s'en allait et le regrettait, ou elle revenait et elle avait mal. La solitude ne peut pas se soigner. La mélancolie, elle, peut être atténuée. Et puis, elle avait du mal à vivre loin des siens. Toutes ces bouilles qu'elle avait vues naître, tous ces guerriers qui lui avaient parfois obéit en bougonnant, d'autres fois avec enthousiasme. Elle n'avait nommé aucun guerrier, aucun apprenti. Au fond, elle savait bien qu'elle le regrettait. De ne pas avoir eu cette cérémonie fusionnelle avec son Clan, cet instant où on se sentait si proche de la jeunesse, de la vie de son Clan ...

Oui, elle avait eu beaucoup de désirs. Et beaucoup de regrets. C'est pourquoi elle se nomme Sombre Désir. Larmes de Sang entama un petit discours. Elle appréciait son aide, mais la conviction n'y était pas. Elle n'y croyait plus tellement. Elle n'avait plus le courage d'affronter le regard des autres, de revoir son passé. Non, Sombre Désir n'avait plus la moindre conviction. En rien. Son court exil ne lui avait pas permis de mettre de l'ordre dans ses idées. Pas le moins du monde. Elle se sentait toujours aussi perdue que le jour où elle avait quitté Pelage d'Ombre à regrets. Son si fier ami ... Elle ferma les yeux un bref instant, se souvenant de quelques - unes de ses paroles qui lui tenaient à cœur. « Quand j'aurai trouvé un successeur, quand je serai sûr que ma présence ne sera plus indispensable... je partirai... et je sais que quelqu'un m'attend ... » La solitaire soupira. Pelage d'Ombre cachait un secret, elle en avait connaissance. Mais qui était sa dulcinée ? Elle ne savait pas. Elle n'en avait pas grand - chose à faire, en réalité. Elle redoutait juste chaque jour que Pelage d'Ombre soit parti du Clan du Vent, et que lorsqu'elle reviendra, il ne sera plus là. Et qu'elle ne le reverrait jamais. La femelle frissonna. Cette pensée la terrifiait chaque jour un peu plus depuis son départ.

Larmes de Sang débattit sur le mérite qu'elle avait d'être une guerrière du Vent. Il mit le cas de Pelage d'Ombre sur le tapis, plaidant qu'ils n'avaient pas de crainte à avoir, si il était là, ils ne seraient pas rejetés. Mais que pourrait un seul chat, aussi respecté soit - il, contre tous les chats du Clan ? Pas grand - chose. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle n'arrivait plus à croire tout court. Espoir. Un mot qui l'avait trahie. Il parlait aussi du Clan des Étoiles. Sombre Désir croyait toujours au Clan des Étoiles, elle savait qu'il existait. Mais elle se sentait délaissée par le Clan des guerriers - étoiles. Chaque nuit, elle observait le ciel, dans l'espoir de voir une étoile briller plus que les autres, pour lui redonner un peu de vigueur. Un peu de cet espoir qu'elle avait perdu. Il finit par une question. « Alors tu me suis ? ». Elle ne répondit pas, toujours hésitante. Elle n'avait pas l'air convaincue le moins du monde par le discours pourtant plutôt joli de Larmes de Sang. Il n'arrivait même pas à lui redonner une once d'espoir. Elle était au plus profond des abysses, et voir un rayon de lumière était une épreuve constante. Il vit immédiatement que Sombre Désir n'était pas du tout emballée par ses jolies paroles.

Il reprit alors, avec plus de vigueur cette fois. Cette fougue pleine d'espérance eut pour effet d'effrayer légèrement Sombre Désir. Elle n'avait pas vu depuis longtemps quelqu'un aussi convaincu par ses propres mots. Elle retrouvait toutes les couleurs de l'espérance dans la bouche d'un autre. Il commença à conter son histoire. Elle ne l'écoutait plus d'une manière oisive, accrochant à l'un ou l'autre mot. Non. Chacune de ses paroles étaient importantes. Comme si il prononçait ses derniers mots. Au début, il avait l'air fier. Mais il détourna le regard, honteux, quelques instants après avoir commencé son récit. Il récita qu'il avait refusé d'obéir lorsqu'on lui avait dit de fuir. Ce que la féline n'avait pas fait. Elle se sentit mal à l'aise, et Larmes de Sang planta son regard dans le sien. Elle vit dans ses yeux qu'il avait profondément honte de lui. Pourquoi ? Il avait fait ce que Sombre Désir n'avait pas osé faire à l'époque. Alors pourquoi cette honte, cette gêne ? Il disait qu'il l'avait pensé peureux. Puis qu'il avait vu tous les autres se faire tuer, les uns après les autres. Il prit une grande inspiration, et paru plus neutre qu'auparavant, reprenant une expression normale. Il conta que pour survivre, il faut savoir fuir. Les yeux de la solitaire s'illuminèrent. Elle voyait dans ses yeux à lui qu'il y croyait vraiment dur comme fer. Et qu'elle, elle le croyait aussi. Il relata alors les horreurs qu'il avait aperçues, et le regard de Sombre Désir se fit plus profond, compatissant.

Il fit une pause. La femelle écaille cru qu'il avait fini. Mais alors qu'elle essayait de venir vers lui pour tenter de le réconforter, il reprenait son récit. Le silence pesant fut brisé avec douceur par sa voix de chat fort. Il était devenu grand, puissant, courageux. Une lueur de fierté brilla au fond des yeux de la chatte. Ce félin était admirable. Leurs regards plantés l'un dans l'autre, Sombre Désir vit les yeux de Larmes de Sang s'embraser de conviction. Il dit qu'elle n'avait peut - être pas subi autant de lui. Elle opina. Mais qu'elle avait dirigé le Clan, quelle l'avait reconstruit. Elle détourna légèrement le regard. Elle le devait bien à son Clan. Il finit par des mots merveilleux. Les yeux de la guerrière s'illuminèrent de mille étoiles. Ses yeux n'étaient plus aussi ternes qu'avant, reprenant une douce couleur d'ambre doré.

« Si quelqu'un trouve à redire à ta conduite, à ton besoin de digérer tout les souvenirs douloureux enfoui en toi, alors il ne mérite pas d'être un chat du Clan du Vent, il ne mérite pas que tu le regardes, car il ne respecte pas tout ce que tu as traversé pour redonner son éclat au Clan dont il fait parti. »

Il avait été sûr de lui, un feu discret brillant au fond de ses prunelles, qui avaient pourtant observé tant d'horreurs. Même après tant d'épreuves, de douleurs, de visions d'horreur, il n'avait pas flanché. Il était debout, face à elle, à tenter du mieux qu'il pouvait de lui redonner l'espoir et le courage de tout affronter. Il avait aussi parlé pour lui, parlé avec ses pensées. Cela ce voyait, qu'il y croyait dur comme fer, comme si il essayait de convaincre un solitaire de croire au Clan des Étoiles. Un sourire illumina le visage de la solitaire. Un beau sourire. Un sourire comme elle n'avait plus eut depuis longtemps. Des mots rejaillirent en elle. « Sourit, petit frère. » C'était les derniers mots qu'elle avait prononcés à Pelage d'Ombre avant de s'en aller. Tant de conviction dans la voix de Larmes de Sang l'ému. Elle avait les yeux humides, et ne pu s'empêcher de plonger sur lui pour pleurer un peu. Lorsqu'elle eut séché ses larmes, elle s'écarta, quelque peu gênée de son geste.

« Allons - y, Larmes de Sang. Tu es le chat le plus admirable que j'aie jamais rencontré. Merci pour m'avoir redonné le courage. Je t'en serais à jamais redevable. »

Elle se mit debout, esquissant un sourire timide. Larmes de Sang était presque au - dessus de Pelage d'Ombre dans le cœur de Sombre Désir. Elle sentait qu'elle le ferait avancer. Il fallait qu'elle le suive. Elle leva ses yeux d'ambrer doré vers lui. Ses prunelles avaient retrouvé toute leur vigueur, encore scintillants. Les mots si bien formulés de Larmes de Sang résonnaient en elle.

L'Espérance est revenue.

Les yeux d'ambre de Sombre Désir étaient habités par la détermination. Elle voulait désormais accompagner son ami dans cette épreuve, affronter le regard des autres. Elle ne savait pas vraiment ce que son Clan avait pensé d'elle, n'était-ce pas là l'occasion de le savoir ? Elle inspira pronfondément. C'était l'heure de vérité, de la confrontation. C'était l'heure du retour, et il n'était plus question de faire marche arrière. Marche droit devant et tu trébucheras, retourne en arrière et tu périras. Ces mots s'imposèrent à son esprit, comme un cri de guerre. C'était une nouvelle certitude. Il ne fallait plus se terrer. Il faut vivre, Sombre Désir. Ne gaspille pas ton temps aux remords inutiles. Vit mon petit. Quoi de plus beau que la vie, Sombre Désir ? N'as-tu jamais observé tendrement des chatons, pleins de vie, qui se chamaillaient un morceau de mousse ? A côté d'eux, as-tu fait attention au chaton triste auquel tout lui avait été arraché ? Il y avait toujours au moins un de ces chatons dans les Clans. Et tu te souviens, Sombre Désir. C'était un chaton, tout triste de vivre tant tout lui échappait. Dans ton élan maternel, dans ton rôle de chef qui te saillait alors à merveille, tu vint près de lui. Il fut d'abord impressionné, puis il se laissa aller, comme si il contait ses malheurs à sa vraie mère. Tu étais la mère du Clan. Tu faisais attention aux plus tristes, tu récompensais les plus courageux. Tu étais une bonne chef, Sombre Désir. Mais le remords et la culpabilité t'as dévorée, ton passé t'as rongée et détruite. Tu l'as laissé faire de toi une coquille vide, qui semble se remplit en la présence de Larmes de Sang. Il est ton piédestal, la marche qu'il te manquait. Tu peux reprendre ton chemin, soit juste et bonne. Soit courageuse, cheftaine déchue.

Larmes de Sang lui offrit encore un de ses minis-discours aussi solennel qu'un long. Reprendre leur place. Reprendre leurs droits. Être une guerrière du Clan du Vent ... Comme ce serait ... étrange ? Les chats du Clan s'accoutumeraient-ils à voir leur ex-meneuse, qui était partie puis revenue en tant que simple guerrière ? Elle se demandait si ils avaient déjà trouvé un nouveau chef et un nouveau lieutenant ... Non. Il ne fallait pas penser à ça. Il faut avancer, laisser les questions loin, loin derrière et ne jamais les laisser revenir. Elle releva la tête. Sombre Désir fut bientôt happée par les souvenirs, lointains ou récents. Larmes de Sang semblait plongé dans la même léthargie qu'elle. Ils marchaient côte à côte, comme deux amis éternels. Le silence était parfait, seulement troublé par les bruits familiers des terres du Vent. Seulement troublé par les doux murmures de leur maison. Le Vent semblait si pur ici ... Si ... Sombre Désir se sentait nostalgique, les yeux dans le vague. La vue du camp lui coupa presque le souffle. Elle était stressée, elle avait presque envie de s'enfuir en courant. Trop tard. Elle était trop proche du but.

Alors que Sombre Désir restait immobile, presque tétanisée, Larmes de Sang fit un pas en avant, puis l'invita d'un aimable sourire à le suivre. Ce simple sourire, cette simple invitation balaya presque toutes les craintes de Sombre Désir. Juste ... le laisser la guider. Non. Il ne devait pas tout faire, elle ne devait pas le laisser prendre le plus dur. Il entreprit de passer devant, et Sombre Désir le dépassa. Elle lui toucha l'épaule du bout de la queue.

« Ce n'est pas à toi de tout faire. Ne fais pas ton super-héros, je sais aussi prendre sur moi, tu sais ... Et puis, tu n'es pas à toute épreuve. Laisse-moi faire ... »

De nouveau, elle esquissa un sourire. Elle entrait dans le campement. Son coeur allait lâcher prise. Elle fit quelques pas dans le campement, se détachant à peine de Larmes de Sang. Elle cherchait toujours du réconfort auprès de lui, comme si il était son ultime puits d'affection. Comme si il était le seul être cher qui lui restait ...

De nouveau, Sombre Désir hasarda quelques pas. Des visages surpris se tournèrent vers elle. Des rumeurs parcourent le campement, des têtes se frayèrent un passage à la sortie des tanières. Sombre Désir sentait son coeur palpiter dans sa poitrine, elle chercha l'ultime courage qui lui manquait dans le regard de son ami, puis elle s'avança avec une assurance feinte au centre du campement. Elle n'invita pas son ami à la suivre, de peur de le mettre encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà.

« J'ai l'impression d'être partie depuis une éternité ... Donnez-moi des nouvelles, surprenez-moi, chats du Clan du Vent. Mais d'abord, à moi de vous apporter mon lot de surprises : un chat survivant de l'Ancien Clan du Vent, comme Pelage d'Ombre et moi-même, m'a permis de venir vous voir aujourd'hui, et de poser une requête au Clan entier. Mais n'y pensons pas tout de suite. Ce chat se nomme Larmes de Sang, il est tout le courage qu'il m'a manqué jusqu'à présent. »

Elle esquissa un geste vers le félin, craignant de le mettre mal à l'aise, elle demanda aussitôt si ils avaient un nouveau chef. On lui répondit à l'unisson que non, pas plus qu'un lieutenant. Elle hocha la tête sur le côté. Son Clan était en péril, sans chef. Elle se sentait déjà de nouveau à l'aise ici, comme si elle n'avait jamais quitté cet endroit. Sombre Désir se rappela soudainement qu'elle avait laissé Larmes de Sang seul, alors qu'il devait être fou d'inquiétude devant tout ce monde inconnu. Elle avait pu reprendre rapidement ses marques et son ton presque maternel pour les membres du Clan, mais Larmes de Sang n'avait pas un seul point de repère dans ce nouvel environnement. Elle s'empressa de le rejoindre et de lui offrir un sourire lumineux. Il était tout le courage qui lui avait manqué ...